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- تاريخ النشر : 23-05-2024
Pages glorieuses de l’histoire de l’île de Djerba après l’ère islamique
Pages glorieuses de l’histoire de l’île de Djerba après l’ère islamique
De l’an 47 jusqu’à l’an 1298 de l’Hégire
Carte des principales mosquées et forteresses de l’île de Djerba
Lien de l’article: https://www.adf.site/ar/personnalit%C3%A9s/said-ben-youssef-al-barouni
L’histoire de l’île islamique de Djerba est pleine de gloire, de grandeur et de lutte. Les Djerbiens sont appelés à dévoiler au grand jour ses pages glorieuses, afin de donner aux jeunes d’aujourd’hui des exemples de bravoure, de dévouement et de sacrifice dont ont fait preuve des gens dévoués et sincères et qui n’étaient animés dans leurs actions d’aucune ambition de pouvoir, d’argent ni de célébrité.
Si on observe l’histoire de l’île de Djerba à l’époque de l’Islam, on peut distinguer des périodes avec des spécificités et des tendances différentes :
- Première période : de l’an 47 jusqu’à l’an 300 de l’Hégire.
- Deuxième période : de l’an 311 jusqu’à l’an 431 de l’Hégire.
- Troisième période : de l’an 431 jusqu’à l’an 529 de l’Hégire.
- Quatrième période : de l’an 529 jusqu’à l’an 960 de l’Hégire.
- Cinquième période : de l’an 960 jusqu’à l’an 1298 de l’Hégire.
- Sixième période : de l’an 1298 jusqu’à l’indépendance de la Tunisie en 1375 de l’Hégire.
- Septième période : de l’indépendance jusqu’à présent.
- Première période : des Croisades : de l’an 47 jusqu’à l’an 300 de l’Hégire.
Les musulmans ont conquis Djerba au milieu du premier siècle. Abou Râs dit dans son livre Mounis Al Â’hibba (Compagnon des intimes), p.40 que « Rouwayfaâ Ibn Thabêt Ibn Saken Ibn Udaï Ibn Hâritha Al-Ansârî était le premier à avoir conquis cette île. Il descendit de la famille de Mâlek Ibn Najar, qui était l’un des compagnons du prophète (Dieu soit satisfait d’eux tous) et de ceux qui vécurent en Égypte. Mouâuiyah Ibn Abou Sufiâne l’a nommé à la tête de Tripoli l’an 46 après l’Hégire. Rouwayfaâ se lança alors dans la conquête d’Ifriquiyâ l’an 47 après l’Hégire (667-668 de l’ère chrétienne). Il arriva à Djerba qu’il conquit. De retour la même année, il mourut à Barka. Hassan Hosni Abd Al-Wahâb affirma qu’il était enterré dans la ville « Elbaydha» qui se trouvait à Barka dans un cimetière célèbre et respectueux. Il dit aussi qu’il avait visité ce cimetière en 1957ap JC (1376 après l’Hégire) et qu’il lui avait imploré la miséricorde de Dieu.
Les habitants de Djerba firent un accueil très favorable à l’Islam. Les cœurs étaient prêts à être remplis par les lumières de cette nouvelle religion et les esprits étaient empressés à goûter aux délices de la foi. L’islam ne quitta plus jamais cette terre qui vécut, après cette période, soit totalement indépendante ou gardant son autonomie interne. Elle n’a jamais été assujettie aux gouvernements installés dans le pays que durant quelques périodes très courtes de l’histoire. C’est pour cela que l’île n’a pas participé aux guerres de l’abjuration qui avaient lieu de temps en temps dans plusieurs régions de la Tunisie, dans la mesure où les ténèbres de la mécréance avaient totalement disparu sur cette terre depuis l’avènement de l’Islam. Il paraît ainsi que les Djerbiens avaient goûté aux délices de la liberté et de l’autonomie avec l’Islam et qu’ils s’efforçaient depuis à entretenir la nouvelle situation qu’ils connurent sous Rouyayfaâ Ibn Thabêt.
Djerba gardait ses distances par rapport aux gouverneurs du pays. Les sages de la ville se chargeaient d’appliquer les lois islamiques sur cette terre. Les Omeyyades se succédèrent sur la Tunisie et se disputèrent le pouvoir, déclenchant des révoltes hostiles ici et là. Au milieu de ce paysage tourmenté, Djerba est restée neutre et pacifique jusqu’au deuxième siècle, où elle rejoignit la dynastie Rostumide fondée par Abd Ar-Rahmâne Ibn Bahrâm Ibn Sâm Ibn Kesrâ Abu Sharwân, le roi perse, dans le sud de l’Algérie en 160 de l’Hégire, après s’être fui des armées Abassides à Kairouan.
Le professeur Bahâz Ibrahim mentionna dans son livre Abd Ar-Rahmâne Ibn Rostom aux pages 36 et 37 : « Si le calife Abasside Abou Jaâfar Al-Mansûr (136-158) nommait Abd Ar-Rahmâne ibn Mouâuiyah Ibn Hichâm, connu sous le nom de Abd Ar-Rahmâne Ad-Dâkhil, "l’Aigle de Qouraysh", Cheikh Ali Yahya Mouâamar, lui, nommait Abd Ar-Rahmâne Ibn Rostom "l’Aigle de Perse". Le professeur Ali Yahya Mouâamar a, en réalité, fait une comparaison intéressante et drôle, dans laquelle il montra les similitudes et les différences entre les deux personnages. Il dit : « Il n’est pas une fois où j’ai mentionné Abd Ar-Rahmâne ibn Rostom sans parler en même temps d’un autre homme qui lui ressemblait dans plusieurs de ses actes, Abd Ar-Rahmâne Ad-Dâkhil, lAigle de Qouraysh. Pourtant, ce dernier fut amplement célébré dans les manuels d’histoire ; ce qui a participé à la gloire de ce personnage, face à une négligence dont a été victime Abd Ar-Rahmâne Ibn Rostoum. Ali Mouâamar poursuivit sa comparaison en précisant que « les deux hommes subirent le même sort à l’époque Abasside, car ils appartenaient à deux dynasties précédentes. L’Aigle de Qouraysh s’est enfui en Andalousie en 138 de l’Hégire tandis que l’Aigle de Perse s’est enfui de Kairouan pour s’installer à Tahart en 141 de l’Hégire. Le premier fonda un grand état en Andalousie et le deuxième un prestigieux imamat en Algérie.
L’histoire nous enseigne, en effet, qu’Ibn Rostom fonda une grande nation en Algérie durant son règne (160-171 de l’Hégire, 777-788 de l’ère chrétienne). Dès qu’il fut élu imam, nous dit Ibn Saghîr, il fit preuve de beaucoup d’abnégation, de piété, ouvrant son cœur aux plus démunis, aux veuves et aux pauvres. Sa renommée et ses actions dépassaient alors toutes les frontières.
La dynastie Rostumide qui s’était étendue sur tout le territoire algérien et sur une bonne partie de la Libye et de la Tunisie, et qui avait constitué le premier état islamique en Algérie, choisit le courant ibâdite. Son règne dura 136 ans (160-296 de l’Hégire, 777-909 de l’ère chrétienne). La raison pour laquelle l’île de Djerba avait choisi jusque-là de n’adhérer ni au règne des Abbassides ni à celui des Omeyyades, ni d’ailleurs à ceux qui se sont révoltés contre ces deux dynasties était toute simple : l’île était sensible à la différence entre les principes de l’Islam et les modes de gouvernement de ces dynasties. Malgré la constitution de trois imamats successifs indépendants par rapport aux Omeyyades et aux Abbassides en Libye et dans une partie de la Tunisie, l’île de Djerba a choisi la neutralité militaire et politique. Dès que la dynastie Rostumide fut fondée, les habitants se hâtèrent de la rejoindre, tout comme les habitants des régions du sud et du centre de la Tunisie.
Djerba connut sous la dynastie Rostumide 140 ans de paix, de sécurité, de justice et de liberté. La gouvernance était assurée au moyen d’élections validées par l’imam à Tahart. Dans son livre intitulé Les Ibâdites en Tunisie, le professeur Ali Yahya Mouâamar dit à la page 213 : « De la fin du deuxième siècle jusqu’à la fin du troisième siècle, la situation n’a pas beaucoup changé à Djerba qui était toujours sous le régime islamique. Les savants s’employaient à lui faire respecter les ordres à l’époque Rostumide, qui étaient appliqués au nom de l’imam tandis que les travaux étaient accomplis au nom de l’état. Cette indépendance et cette autonomie dont bénéficiait l’île ont donné des résultats positifs : le savoir et la science y avaient prospéré donnant lieu à des lauréats dans beaucoup de domaines (religion, sociologie, morale, etc.). Ces derniers ont participé à l’instruction des gens selon les règles et les principes islamiques et humains. Plusieurs écoles avaient vu le jour de sorte que le patrimoine islamique fut sauvegardé pendant longtemps. « Parmi ces savants, il y avait Abou Miswer Yasjâ Al-Yahrâsnî qui fut l’un des derniers savants de l’époque Rostumide vers 296 de l’Hégire (909 de l’ère chrétienne)
La Grande Mosquée (ElJamaâ ElKabir) de Abou Miswar Yasjâ Al-Yahrâsnî à Hachène Km4, route de l’aéroport Djerba Zarzis
Plusieurs disciples de Abou Miswar se sont révélés et sont devenus des savants Ibâdites, tels que son fils Facîle et ses deux arrières- petits enfants Zakariyaâ et Younes ainsi que Abou Bakr Ibn Yahya qui, avec le concours de leur professeur Abou Abd Allah Mohammed Ibn Bakr Al-Foursutâîi, ont instauré le régime appelé Al-Azzâba à Djerba après la disparition de la dynastie Rostumide. Parmi une vingtaine d’écoles, on peut citer celle de la grande mosquée à Hashân, celle de la mosquée de Walhî à Oued Zbib, celle de la mosquée Lâkîn à Ghîzn ou encore celle de la mosquée Lîms à Ajîm et de la mosquée Boulimân à Cedghiyân, qui fut un grand centre de sciences et de culture durant neuf siècles.
Si on récapitule cette première période : de l’an 47 à l’an 300 de l’Hégire, on peut dégager les constatations suivantes :
- Les Djerbiens n’ont pas renié l’Islam, comme c’était le cas dans plusieurs régions voisines.
- L’île de Djerba ne s’est alliée à aucun des camps engagés dans la lutte.
- L’île a pris soin de s’autogérer sous la direction de ses savants, en conservant son autonomie par rapport aux états en place jusqu’à l’ère Rostumide.
- L’île était un centre de diffusion des sciences et des savoirs à cette époque.
- Deuxième période : de l’an 311 jusqu’à l’an 431 de l’Hégire.
Les savants et les responsables à Djerba décidèrent de conserver leur mode de vie autonome d’avant l’ère Rostumide. Ils s’épargnaient toute confrontation avec les Fatimides qui étaient en train de s’implanter sur tout le territoire nord-africain, ne se mêlaient guère à la rébellion qui accompagnait l’avènement des Fatimides, protégeant ainsi leur île de tous ceux qui avaient l’intention d’en faire un bastion de violence.
Le souci de Djerba était simple : être un terrain neutre et continuer à pratiquer la religion musulmane en paix. Cette aspiration ne put se réaliser. En effet, dès qu’ils se sont installés à Mahdia et que leur flotte militaire était prête, les Fatimides ont commencé à annexer des territoires voisins. La flotte des Fatimides se dirigea alors vers l’île de Djerba, à la surprise générale de tous ses habitants, et s’empara d’elle en 311 de l’Hégire, sous les ordres d’Alî Ibn Soulaymân Ad-Dâai. Les gouverneurs fatimides se sont alors succédés sur Djerba, jusqu’à ce que Abou Yazîd Al-Khârîjî se soulevât avec succès en 331 de l’Hégire, obligeant les Fatimides à quitter l’île.
Le professeur Alî Yahia Mouâmmar dit dans son livre (cf. ci-dessus), à la page 217 : « Comme d’autres villes voisines, Djerba avait souffert de la tyrannie fatimide, amplifiée par la propagande qui tentait de diviser les musulmans et de semer la zizanie entre Chiites et Ibâdites. Les gouverneurs chiites avaient commis, à l’époque, des actes de barbarisme à Djerba et dans beaucoup d’autres villes Ibâdites, croyant que leurs actes étaient licites. Combien de fois les plus fanatiques parmi eux avaient incité à la vengeance à l’égard des Ibâdites. Djerba a vécu ainsi vingt ans sous le règne des Fatimides, avant le soulèvement mené par Abou Yazîd Moukhalad Ibn Kaydâd, surnommé « Sahib Elhimar » (Propriétaire de l’âne). Les habitants l’avaient accueilli en véritable héros qui allait les délivrer de la tyrannie Fatimide. Le conseil réuni à Kairouan, composé des plus éminents savants malikites, a alors recommandé de soutenir Abou Yazîd contre les Fatimides.
La rebellion qu’il avait menée a alors remporté beaucoup de victoires qui ont favorisé en 331de l’Hégire la conquête de Djerba. Les habitants avaient tellement d’espoirs en cet homme qui finit par les décevoir en commettant des crimes encore plus atroces que ceux commis par les Fatimides. Deux malheureuses années se sont écoulées, pendant lesquelles Djerba a souffert des injustices et de la terreur semée par Abou Yazîd, assassiné en 335 de l’Hégire. L’île passa alors sous la tutelle des Fatimides à Mahdia, pour souffrir d’injustices plus intolérables. Entre 341 et 350 de l’Hégire, les habitants se sont soulevés et ont réussi à chasser le gouverneur Fatimide. Ils ont retrouvé ainsi leur liberté ; celle qu’ils avaient connue avec l’islam. Cette situation a duré jusqu’à 431 de l’Hégire, année où Al-Mouiz Ibn Bâdîs As-Sanhâjî s’empara de l’île, perpétrant les crimes les plus horribles. En effet, il avait réuni l’élite djerbienne parmi les savants, les hommes de lettres, les gens pieux et les a égorgés sur la place publique, tels des moutons. Parmi eux, il y avait Abou Omrane An-Noumeyli, un des savants de Ghar Mijmaj, Abu Salah Al-Yahrasni, Abu Moussa Ibn As-Samh Ar-Rabbani, Abu Bakr Ibn Kacem Al- Yahrasni et Abu Mohammed Kamous Az-Zwaghi. (cf. Ach-Chammâkhî, pp. 379-471).
Après s’être débarrassés d’Abou Yazîd, les Djerbiens se sont trouvés face à une terreur encore plus grande avec le retour des Fatimides. Durant cette période ( de l’an 300 à l’an 431 de l’Hégire), Djerba a vécu une trentaine d’années sous la tutelle d’un pouvoir étranger qui semait la terreur. Les habitants ont survécu ensuite à deux années encore plus sombres sous le règne d’Abou Yazîd Ibn Kaydad. L’île a enfin connu une centaine d’années d’autonomie et d’indépendance.
Si on récapitule cette deuxième période de l’histoire de Djerba, on peut faire les constatations suivantes :
- les Djerbiens ont subi des guerres atroces,
- ils étaient déterminés à se défendre, à se rebeller contre les injustices récurrentes ;
- ils sont devenus plus soucieux de leur gestion interne et ont définitivement opté pour leur autonomie et leur indépendance ;
- ils refusaient solennellement les abus de pouvoir et critiquaient toute monarchie absolue.
- Troisième période : de l’an 431 à l’an 529 de l’Hégire.
L’auteur poursuivit son récit en précisant que « les habitants se sont remis en cause à la lumière des événements endurés en citant les vers d’un poète arabe qui dit : "Sera anéanti celui qui ne prend pas les armes et sera victime celui qui n’est pas bourreau".
Le célèbre explorateur At-Tijani dit, dans sa présentation de Hassan Hosni Abdel Wahab, à la page 123 : « J’ai accompagné un des rois de Banû Hafs à Djerba, lors d’un convoi disciplinaire chargé de punir les habitants qui n’ont pas payé d’impôts. Ce roi ne s’est pas contenté de tuer, de piller et d’humilier les indigènes ; il a même exercé un contrôle sur leurs croyances et leurs pratiques religieuses ». Il a contraint les habitants à adopter le Malikisme. A cet effet, il a réuni les savants considérés comme des références en matière de religion et a donné l’ordre de les exécuter tous. Toutefois, les Chiites qui ont essayé de convertir les habitants au Chiisme, n’ont jamais atteint un tel degré de cynisme ni de violence. L’attitude de Mouiz Ibn Bâdîs ne pouvait s’expliquer par une quelconque fidélité au courant Malikite, mais plutôt par la crainte d’une révolution Ibâdite qui lui ferait perdre son pouvoir. On peut même dire que si Ibn Bâdîs avait adopté le courant Malikite, ce n’était pas dû à une comparaison entre les courants, entre le Chiisme sur les principes duquel il a grandi et le Malikisme auquel il s’est converti plus tard. Le choix du courant Malikite était surtout motivé par un opportunisme politique, Ibn Bâdîs ayant remarqué le grand nombre d’adeptes de cette secte, capables de soutenir son trône en luttant contre leurs adversaires : les Chiites.
Dans son ouvrage sur l’histoire des croisades arabes en Libye, à la page 195, Ezzaoui dit :
« [Ibn Badis] extermina les Chiites et abolit le Chiisme. Il anéantit également le Soufisme, l’Ibâdisme, le Nokarisme et le Mutazilisme, obligeant tout le monde à suivre le courant de l’imam Malik. Une telle politique encourageait les gens à maltraiter et à torturer les partisans de ces courants ».
A la lumière de ces événements, les Djerbiens ont révisé leur position. De jeunes révolutionnaires ont décidé de riposter. Ils constituèrent alors une flotte pour défendre leurs biens et l’honneur de leur île, réussirent à se débarrasser du gouverneur de l’état Sanhajite Ibn Kaldin et retrouvèrent ainsi leur autonomie. Ils se sont protégés contre les Sanhajites, ne leur laissant aucune issue. Ils ont boycotté tout commerce avec Mahdia. Les princes ont vainement essayé de braver ce fléau.
Cette situation a duré environ 70 ans (de l’an 441 à l’an 510 de l’Hégire). Pendant cette période, une pléiade de savants s’est constituée pour prêcher la bienfaisance et interdire les méfaits, dont les actes de piraterie. En effet, ils ont proclamé comme étant illicite tout bien récolté par un acte de piraterie ; ce qui a obligé les propriétaires de ces navires à les vendre ou à se tourner vers la pratique de la pêche.
En 510 de l’Hégire, Abou Al-Hassan Ali Ibn Yahia Ibn Tamim équipa une flotte pour conquérir Djerba. Tous les habitants se sont alors mis sur leurs gardes, prêts à tous les sacrifices. Après un siège qui a duré plusieurs jours, Abou Al-Hassan, face à une résistance farouche, renonça à Djerba contre l’accord suivant :
- une interdiction aux marins Djerbiens d’intercepter le trafic des navires de la marine marchande en direction des ports tunisiens.
- une levée de l’embargo sur Mahdia et une reprise des échanges avec cette ville qui souffrait d’une crise économique.
Se dégagent de cette période les constatations suivantes :
- la métamorphose des Djerbiens face au danger : de gens pieux craignant Dieu, ils se sont transformés en véritables guerriers tenant tête aux ennemis,
- l’extinction de la voix des savants pieux,
- la formation d’une force maritime redoutable et la mobilisation militaire à l’intérieur de l’île,
- Djerba a acquis son autonomie.
- la victoire de ceux qui plaidaient pour le bien et dénonçaient toute injustice, qu’ils en fussent victimes ou responsables.
L’histoire de Djerba connut, pendant cette période, deux tendances opposées :
- première tendance : la résistance à l’occupation chrétienne et la lutte contre la piraterie Européenne et contre l’Eglise ;
- deuxième tendance : l’annexion de l’île à un gouvernement étranger.
Mohammed Bouras dit dans son ouvrage intitulé Munis Al Â’hibba (Compagnon des intimes), à la page 101, en parlant des évènements de Djerba :
« En 529 de l’Hégire, du temps du règne de Al Hassan Ibn Ali Ibn Yahia le Sanhajite, l’île a été victime d’une attaque imprévisible menée par les Européens, avec à leur tête le gouverneur Roger qui s’était emparé de Sicile. Après cette guerre, peu de musulmans ont survécu. Les ennemis de Dieu ont conquis Djerba, en semant la pagaille parmi les habitants réduits plus tard à l’esclavage en Sicile.
At-Tijani dit à la page 126 :
« En 548 de l’Hégire, les habitants de l’île se sont révoltés et ont réussi à libérer Djerba et à chasser les occupants. Ils ont subi beaucoup de pertes. Quant aux Siciliens, ils leur ont équipé une flotte immense et ont réussi à s’emparer de l’île après des massacres horribles. Les survivants ont été déportés en Sicile et en Italie, où ils ont été vendus comme esclaves. N’étaient restés à Djerba que ceux qui étaient peu redoutables et dont on ne pouvait craindre la rebellion.
Djerba est restée sous le règne des Européens jusqu’à l’an 555 de l’Hégire/1160 après J.C, année qui coïncidait avec l’arrivée de celui qu’on appellerait plus tard l’unificateur du Grand Maghreb, Abd Al Moumin Ibn Ali Al-Koumi, qui délivra Ifriquiya des occupants et les chassa de toutes les côtes tunisiennes, dont l’île de Djerba. Cette dernière est restée sous la tutelle des Mouahhidines jusqu’à l’an 725 de l’Hégire, quand Abou Zakaria Al-Hafsî proclama son indépendance et s’empara de La Tunisie. Djerba est devenue ainsi un territoire Hafside. Cependant, les Européens manifestaient toujours leurs intérêts pour l’île et continuaient leurs attaques pendant toute cette période, qui s’étendait de l’an 555 de l’Hégire date de leur départ à l’an 688 de l’Hégire date de leur retour. Aussi Djerba était-elle tantôt un territoire tunisien tantôt une colonie Européenne.
Ibn Kholdoun dit :
« Elle [Djerba] passait sous la tutelle tantôt des musulmans tantôt des chrétiens, jusqu’à ce qu’elle fût prise par les Mouahhidines, avant que les chrétiens ne la reprennent en 688 de l’Hégire/1288 après J.C, et n’y fondent la forteresse de Quachtîl (cf. tome 1, pp. 156-576, éd. Algérie).
La forteresse de Quachtîl
Cette forteresse est devenue un refuge pour les bateaux des chrétiens et une véritable base militaire menaçant les côtes tunisiennes. Les Hafsides sentirent le danger que constituait cette forteresse et tentèrent de chasser les soldats Européens et de la détruire. Ainsi, Abou Yahia Zakaria El-Lahyani, le cheikh de l’état Hafside, accompagné d’At-Tîjanî, a-t-il essayé de s’emparer de cette forteresse en 706 de l’Hégire. Abou Yahia Zakaria encercla la forteresse pendant deux mois, avant de renoncer à son projet s’étant rendu compte de son impuissance. (cf. At-Tîjânî, p. 128).
L’état Hafside était préoccupé par les rebellions et les troubles internes des princes, jusqu’au règne de Abou-Bakr II de 718 à747 de l’Hégire. Celui-ci a réussi à assiéger la forteresse de Quachtîl et à vaincre ses protecteurs. En 738 de l’Hégire, l’île de Djerba s’est débarrassée de l’occupation chrétienne pour nommer Moukaled Ibn Kammed comme gouverneur. Ce dernier a rapidement été destitué de ses fonctions par Abou Bakr II qui l’a remplacé par Ahmed Ibn Makki. Pendant ce temps, les deux fils de Makki se sont alliés aux Marinites, la famille royale du Maroc, contre les Hafsides. Ils étaient déçus et s’emportèrent contre les Marinites qui avaient sous-estimé leur pouvoir. Abd Al Wahed Ibn Al-Lahiyânî, fils d’Ibn Yahia Zakaria Al-Lahiyânî Al-Hafsi fut nommé gouverneur par les Hafsides de gabès, Sfax, Djerba et Tripoli. Ce dernier a ordonné que les fils de Makki lui obéissent et lui vouent toute la loyauté. Les choses allaient mal tourner si Abd Al-Wahed n’avait pas succombé à une épidémie à son entrée à Djerba en 749 de l’Hégire. Djerba est alors restée sous la gouvernance d’Ibn Makki.
En 755 de l’Hégire, Ibn Makki était en voyage à Tripoli pour y établir son règne contre une somme d’argent payée aux Génois. Ibn Tafragine, son ennemi farouche, profitant de son absence, a envoyé son fils doté d’une flotte pour occuper Djerba après l’avoir assiégée en 763 de l’Hégire. Ibn Tafragine a nommé son secrétaire Mohammed Ibn Abou Al Uyoun, gouverneur de l’île, sous la tutelle des Hafsides à Tunis. Ce dernier a attendu la mort d’Ibn Tafragine pour annoncer son autonomie de l’an 766 à l’an 774 de l’Hégire. Abou Abbas Ahmed II Al-Hafsî, dont la flotte était commandée par son fils Abou Hafs Omar, a repris Djerba et emprisonné Ibn Abou Al Uyoun qui mourut en prison en 776 de l’Hégire. A partir de cette date, Djerba est restée sous la tutelle de l’empire Hafside et a connu plusieurs gouverneurs jusqu’au règne d’Abou-Farès Abd Al-Azîz Ibn Ahmed Al-Hafsî en 835 de l’Hégire/1432 après J-C.
En 835 de l’Hégire, les Européens attaquèrent Djerba dont les habitants furent secourus par Abou-Farès Al-Hafsî lors de son expédition au Djérid tunisien dans l’espoir de mettre fin à la rebellion dans cette région. Celui-ci rejoignit rapidement les militants à Djerba et extermina presque tous les occupants. Aussi construisit-il avec les têtes de ses ennemis une tour, différente de celle que l’on connait aujourd’hui au port de Houmet Souk, et qui remonte à l’expédition Ottomane sous le commandement de Bialeh Bacha avec le soutien de Darghouth Bacha en 967 de l’Hégire/1560 après J.C. Cette tour était située au nord de l’île, à l’ouest de la grande forteresse, près du port (cf. Cercle des savoirs islamiques, p. 328).
La mosquée Sidi Saâd à l’intérieur de la citadelle Al-Ghâzî Mustapha
À l’époque du prince Abou Abdallah Mohammed Al-Hafsî (899-932 de l’Hégire), dans la nuit du mardi 29 Rabii Al Awal 916 de l’Hégire/30 juillet 1510 de l’ère chrétienne, les Européens attaquèrent la côte sud de Djerba sous le commandement de l’Espagnol Don Pedro Navarro. Cette attaque eut lieu à l’époque du Cheikh Abou Zakaria Yahia Samoumni, qui dépendait de Khayreddine Barbarous et de son frère Arouj. Ces deux derniers conclurent un accord avec Mohammed Al-Hafsî qui stipulait que les côtes tunisiennes deviendraient des bases de piraterie et que le cinquième du butin reviendrait à Mohammed Al-Hafsî. Djerba et La Goulette étaient donc deux grands centres de piraterie. C’était la présence de Khayreddine dans les côtes africaines qui a poussé, semble-t-il, les Européens à occuper Tripoli et à attaquer Djerba. À cette époque-là régnait Abou Yahia Samoumni dont la famille était au pouvoir durant trois siècles.
La famille Samoumni, fort célèbre à Djerba, a donné beaucoup de savants. A l’époque de Tîjâni (706 de l’Hégire), cette famille dominait la moitié de l’île. Dans son Dictionnaire généalogique, Zambaouer a mentionné cette famille parmi celles qui ont gouverné Djerba et l’a nommée Banou Zakaria. Il en a dénombré cinq membres : le premier était Abou Yahia Zakaria, le second son fils Yahia Ibn Zakaria, qui gouvernait lors de l’attaque Chrétienne en 916 de l’Hégire/1510 après J.C, Saïd, Ahmed et Salah, tous fils de Yahia Ibn Zakaria, ont gouverné ensemble. Il faut dire que cette famille n’avait exercé qu’un pouvoir local sur l’île et dépendait toujours d’une autre autorité supérieure. Cette famille a également marqué l’histoire de Djerba en 997 de l’Hégire à travers Cheikh Messaoud Ibn Salah Samoumni qui dépendait des gouverneurs de Tripoli et qui avait conclu un pacte avec les Européens. Il mourut cette année-là, léguant le pouvoir à la famille Ibn Jlûd.
La nuit du 30 juillet 1510, la flotte espagnole débarqua au port d’Elkantara à Djerba. Le capitaine Navarro envoya immédiatement trois hommes parlant l’arabe et portant des drapeaux blancs, signe de négociation. Cette offensive a affronté des habitants prêts à se défendre et à lutter pour sauver leur île : les cavaliers devaient contrôler toute la côte et inspecter tous les navires qui s’en approchaient. Aussi Don Pedro Navarro s’est-il rendu compte de l’atteinte à la renommée de l’Espagne que représentait son offensive devant le monde chrétien. Il a alors renoncé à attaquer Djerba et pris le chemin de Tripoli (cf. Les Espagnols et les cavaliers de Saint-Jean à Tripoli, Omar Barouni, pp. 49-51.).
Le professeur Mohammed Marzoukî dit dans ses commentaires publiés dans les annexes de l’ouvrage de Mohammed Bouras, Mounis Al Â’hibba (Compagnon des intimes), aux pages 109-111, parlant des trois croisades chrétiennes sur Djerba, d’après Omar Barouni, dans son ouvrage cité ci-dessus :
« La flotte espagnole a débarqué à Tripoli le 9 août 1510. Le jeudi 11 août 1510, Don Pedro Navarro avait laissé 3000 parmi 15000 soldats que comptait sa flotte pour défendre Tripoli. Le mauvais temps a entravé tout éloignement de la plage ; ce qui a obligé ce commandant à rester dans le port jusqu’au 23 août. Pendant que la flotte de Don Pedro attendait l’accalmie des tempêtes au port, apparurent au large quinze grands bateaux et trois plus petit commandés par Don Garcia di Toledo, accompagné par Diego di Vera et de 3000 soldats venant de Béjaya. Les hommes de Don Garcia n’ont pu atteindre le port de Tripoli qu’après de longs efforts. Ils étaient dans un état d’épuisement et de fatigue totale. Les deux flottes sont donc restées à Tripoli jusqu’au mardi 27 août 1510 où tous les bateaux ont pris le large en direction de Djerba pour commettre de nouveaux massacres. La flotte espagnole accosta à Djerba devant une tour qui servait à la surveillance, le jeudi 29 août ».
Il ajouta dans son récit de l’expédition espagnole :
« Les soldats descendirent des bateaux le vendredi, très tôt le matin et lancèrent une attaque à partir des plages où la mer était peu profonde. Ce jour-là, il faisait une chaleur torride et il n’y avait pas à proximité de la plage de puits pour se ravitailler et se rafraîchir. Après un moment de marche, des signes de fatigue commencèrente à apparaître chez plusieurs soldats qui avaient très soif, surtout ceux d’entre eux qui étaient chargés de tirer les batteries et les barils de munitions. Don Garcia, vêtu de son bouclier en or, tentait d’exhorter ses troupes, en leur promettant l’eau fraiche à l’ombre des oliviers et des palmiers. Les soldats ont donc pris leur courage à deux mains pour s’aventurer plus à l’intérieur de l’île, sans croiser ni ami ni ennemi. Il était midi, le soleil était au zénith, quand les soldats arrivèrent aux champs d’oliviers, sous un soleil de plomb ».
C’était une stratégie militaire bien étudiée que celle que les habitants de Djerba ont appliquée. En effet, ils ont laissé des jarres et des gargoulettes vides autour des puits et suffisamment de cordes pour permettre aux soldats de se désaltérer. Mais où donc sont passés les habitants ? Djerba était déserte et les Espagnols ne sentant aucun danger, se sont dispersés et ont abandonné leurs positions pour se ruer sur les puits. Des disputes ont même éclaté entre les soldats pour s’accaparer les gargoulettes. L’occasion était favorable aux habitants qui ont brusquement jailli et attaqué les Espagnols, les assiégeant avant que ces derniers ne s’en soient rendus compte.
La grande armée du roi catholique a, par conséquent, cédé devant une petite île minuscule. Les survivants parmi les soldats se sont retirés dans un état de panique générale. La flotte espagnole devait quitter Djerba le 31 août 1510 en direction de Tripoli qu’ils n’ont atteint(e) que le 19 septembre, à cause des tempêtes.3000 soldats espagnols étaient morts tandis que les otages étaient plus nombreux. Don Garcia ainsi que plusieurs nobles ont été tués au cours de cette bataille (cf. Les Espagnols et les cavaliers de Saint-Jean à Tripoli, Omar Barouni, pp. 51-57).
Les Espagnols ont tenté pour la troisième fois de s’emparer de Djerba en 926 de l’Hégire/1520ap JC. Le gouverneur de Tripoli, Don Hugo de Moncada, qui était aussi représentant du roi d’Espagne en Sicile, dirigea vers Djerba un bateau de 13.500 soldats et de 1000 cavaliers. Cette revanche espagnole a essuyé une défaite cuisante qui a coûté la vie à 600 soldats catholiques. Toute la flotte aurait entièrement péri si Don Hugo de Moncada n’avait pas rebroussé chemin.
Récapitulons cette quatrième période qui s’étendait sur quatre siècles et demi : de 529 de l’Hégire, date de l’attaque Espagnole et de leur courte domination sur Djerba, à 960 quand l’île passa sous la tutelle de l’Empire Ottoman, sous le règne de Darghouth Ibn Ali. On peut faire les remarques suivantes :
- Durant cette période, Djerba a vécu sous la tutelle des Mouahhidines, puis des Hafsides.
- Des manifestations de tyrannie ont caractérisé les règnes d’Ibn Makkî et d’Ibn Abou Al-Uyoun.
- Djerba dépendait provisoirement de l’empire Marinite.
- Djerba était commandée par plusieurs gouverneurs qui dépendaient de différents états.
- Les affaires intérieures de l’île étaient gérées par les Azzaba.
- Djerba réussit à donner l’exemple en matière de lutte et de bravoure : elle ne cessait de battre l’ennemi et de sauver sa terre et son honneur pendant quatre siècles et demi, jusqu’à la fin de l’ère de piraterie occidentale et au début de l’ère islamique sous l’Empire Ottoman.
- Cinquième période : de l’an 960 jusqu’à l’an 1298 de l’Hégire :
Évoquant cette période dans ses commentaires de l’ouvrage mentionné ci-dessus, intitulé Mounis Al Â’hibba (Compagnon des intimes), de Mohammed Bûrâs, aux pages 112 et 113, Marzoukî dit :
« Pendant ces années, la guerre était déclarée entre les flottes espagnoles, celles de Khayreddine Barbarous et celles de Darghouth Bacha, alors nommé gouverneur à Tripoli en 960 de l’Hégire/1553ap J.C. Ce dernier a succédé à Sinân Bacha qui avait confisqué cette ville aux chevaliers de Malte en 958 de l’Hégire/1551ap J.C. Juste avant cette période, Darghouth Bacha commandait une flotte de pirates en Méditerranée et luttait contre les Espagnols et les chevaliers de Malte sur les côtes. Il s’abritait à Mahdia ou à Djerba, pourchassé par les chrétiens qui essayaient de le tuer.
Khayreddine Barbarous
En effet, en 957 de l’Hégire/1550 après J.C, ils ont assiégé Mahdia mais Darghouth Bacha a su prendre la fuite vers Djerba. Ils l’ont alors suivi encerclant ses bateaux dans le port, contrôlant tout accès à la mer. Sa ruse et son expérience lui ont permis de s’extirper de la main des ennemis en creusant un chemin terrestre pour ses bateaux, dont la première moitié était une espèce de canal d’un mètre de profondeur et dont la deuxième moitié ressemblait à une route tapissée de planches de bois huilées traversant l’île du nord au sud. Les hommes de Darghouth ont poussé les bateaux dans ce canal jusqu’à la mer puis se sont sauvés. Grâce à cette ruse, Darghouth Bacha a donc pu s’épargner la vengeance des chrétiens. Il a même réussi à prendre en otage Abou Bakr Ibn Mawley Al-Hassan, roi de Tunis qui était à bord d’un bateau provenant de Sicile, en guise de renfort. Dès qu’il eut appris la nouvelle de la fuite de Darghouth Bacha de Djerba, Andrea Doria leva le siège pour se diriger vers Massina.
Darghouth Bacha
L’épisode de la fuite de Darghouth Bacha mériterait peut être que l’on s’y attarde un peu.
Il faudrait préciser, en effet, que la distance entre le nord et le sud de l’île était de 28 kilomètres. On pourrait donc imaginer que le fait de pousser des navires dans un canal d’un mètre de profondeur et sur une route tapissée de planches de bois huilées n’était pas une tâche facile.
Ces évènements ont précèdé l’assaut de Darghouth Bacha sur Djerba. Celui-ci a affronté la résistance farouche des habitants. La bataille s’est soldée par la défaite de Djerba qui perdit 1200 martyrs. Les survivants se sont dispersés. Darghouth Bacha s’empara donc de l’île, nomma cheikh Messaoud Samoumnî comme gouverneur et retourna à Tripoli. Ce dernier n’avait pas suffisamment d’emprise sur sa cour qui avait le dernier mot dans toutes les affaires et qui commettait au nom du gouverneur toutes sortes de crimes. Ne pouvant supporter une telle situation, les Djerbiens souhaitaient vivre sous l’autorité tunisienne de crainte d’endurer plus longtemps le despotisme des gouverneurs de Tripoli.
Les partisans de Darghouth Bacha lui ont alors écrit pour l’avertir de ce nouveau mouvement de rebellion à Djerba. Ce dernier retourna à cette île à la tête d’une armée qui ne rencontra aucune résistance. Il en a alors profité pour perpétrer les crimes et les injustices les plus atroces, tuant, pillant ici et là, violant les femmes…Cheikh Abou Souleymân Dawoud Tlâtî, savant très célèbre à cette époque-là, fut l’une de ses victimes qui périt en 967 de l’Hégire.
Dans son ouvrage Mounis Al Â’hibba (Compagnon des intimes), à la page 114, Abou Abdallah Mohammed Aboûrâs dit :
« En 967 de l’Hégire, dès qu’ils eurent appris la fuite des habitants de Djerba, les chrétiens débarquèrent sur la côte nord de l’île, près du mausolée de Cheikh Salem Adhroum (plage Sidi Salem, quartier Bani Bandou et Boumalel actuellement). Cheikh Messaoud Ben Cheikh Salah Samoumnî les a alors accueillis pacifiquement et leur a cédé la tour Qachtil ». Il s’agit probablement de la citadelle Al-Ghâzî Mustapha.
Le mausolée de Cheikh Salem Adhroum
La citadelle Al-Ghâzî Mustapha
Gravure : La Tour de Crânes
La Tour de Crânes
Après une digression, Abouras ajouta :
« Revenons au pacte de paix entre les chrétiens et Samoumnî qui leur délivra la tour Qachtil. Cette tour était alors aux mains des chrétiens. Les habitants en informèrent l’Etat Ottoman qui assiégea cette forteresse pendant trois mois et réussit enfin à vaincre les chrétiens».
En 967 de l’Hégire, Cheikh Messaoud Samoumnî mourut. Darghouth Bacha nomma alors Cheikh Moussa Ibn Jlûd gouverneur de Djerba. Il périt à son tour en 1007 de l’Hégire. Omar Ibn Moussa Ibn Jlûd, son fils, prit le pouvoir puis voyagea à Tripoli. Pendant son absence, les Djerbiens se sont mis d’accord pour le destituer et nommer au même poste Abdallah Ibn Al-Haj Younes Al-Borjî. Ils sollicitèrent le renfort du gouverneur de Tunis, Gârâ Othman Day (gouverneur de 1002 de l’Hégire à1019, date de sa mort). Ils lui ont légué les affaires de l’île. Dès qu’il eut appris la nouvelle, le gouverneur de Tripoli, furieux, retourna à Djerba, accompagné de Cheikh Omar Ibn Jlûd. Il a alors pillé l’île. Abdallah Al-Borjî s’était enfui par la côte sud où il fut rattrapé par les habitants du village Arko, et délivré au gouverneur. Ce dernier l’a tué, a extrait sa peau, l’a farcie de seigles et l’a envoyé à Tripoli. Omar Ibn Moussa Ibn Jlûd reprit son pouvoir sur l’île.
Djerba est restée sous le règne de Tripoli jusqu’en 1014 de l’Hégire quand Gârâ Othman Day envoya une armée à l’île pour chasser le protectorat tripolitain. Grâce à cette victoire, Djerba se rallia à Tunis. Quarante deux hommes parmi les nobles de Djerba ont succombé lors de cette bataille. Avec la reprise du pouvoir par la famille Ibn Jlûd commença une série de rebellions internes entre les membres de cette famille.
Le professeur Ali Yahia Mouammar dit dans son ouvrage intitulé L’ibâdisme en Tunisie, à la page 308 :
« Le conflit au sein de la famille Ibn Jlûd a provoqué des meurtres et des actes de vengeance. Lors de ces tristes événements, Ahmed Ibn Moussa Ibn Jlûd s’est dirigé vers Tripoli demander à son gouverneur Ahmed Karamelli de mettre à sa disposition une armée pour s’emparer de l’île. Ce dernier lui était indifférent. De retour à Djerba, Ahmed Ibn Moussa Ibn Jlûd mobilisa plusieurs Akkaras (habitants de Zarzis) et Werghemma (habitants de Médenine). Il mena ainsi une bataille féroce contre son cousin Moussa Ibn Salah Ibn Jlûd. La bataille s’est achevée par la défaite de Moussa, qui a d’abord cherché un refuge dans la grande citadelle Ghazi Mustapha avant de s’évader à Sfax. Quant aux partisans d’Ahmed, ils ont profité de l’anarchie pour piller la ville de Houmt Souk. Ahmed s’est enfin emparé de l’île.
Dès son arrivée à Sfax, Moussa Ibn Jlûd retrouva Younes Ben Ali. Ce dernier équipa une armée et lui ordonna de retourner à Djerba et de chasser son cousin Ahmed. Fort de son armée, Moussa avait tellement impressionné Ahmed et ses partisans qu’ils ont tous fini par prendre la fuite via Terbella. L’armée de Moussa les a alors pourchassés et exterminés. N’ont réussi à s’enfuir que ceux qui avaient échappé à l’armée de Moussa. Ses soldats ont pillé tout le village d’Ajîm.
La carte des forteresses de l’île de Djerba
Les victoires d’Ahmed et de Moussa furent célébrées de la même façon : on pilla les richesses de l’île qui était alors sous la tutelle d’Ibn Jlûd. Ahmed se réfugia au village de Tejmout avant de se suicider. Quant à Moussa, il fut destitué par Younes Bey, gouverneur de Kairouan, les habitants de Djerba s’étant plaints de sa folie. Son frère Cheikh Mohammed Ibn Salah lui succéda mais n’ayant donné aucune satisfaction, les Djerbiens le dénoncèrent à Ali Bacha, gouverneur de Tunis. Celui-ci le destitua puis l’emprisonna. Enfin, il ordonna de confisquer les biens de cette famille et de détruire ses habitations. Les Djerbiens démolirent ces résidences, stockèrent les fenêtres en fer forgé ainsi que les revêtements des toits en bois, les chargèrent dans un navire à destination de Tunis. Ali Bacha en construisit le palais de Suède, près de l’ambassade de l’Angleterre, à la Porte de France.
Le palais de Ben Ayed
En 1209 de l’Hégire, la nuit du mardi 5 Rabii Al Awal, les soldats d’Ali Borghol débarquèrent à Djerba, commandés par Gârâ Mohammed Turkî qui conquit l’île sans affronter de résistance. Ce commandant, qui était fonctionnaire au gouvernorat d’Algérie, a profité de la discorde entre Ali Bacha Karamelli et son fils Youssef pour demander au Sultan Ottoman de gouverner Tripoli ; ce qui fut fait grâce au soutien de son frère, courtisan du Sultan. Il dirigea ses navires vers la ville de Tripoli qu’il finit par conquérir mais il convoitait Djerba. Il s’empara de l’île dont le gouverneur était Cheikh Hmida Ben Gâssim Ben Ayed. Surpris par cette attaque, celui-ci abrita son harem au mausolée Abou Zayd et s’embarqua à Sfax. Mohammed Jalloulî le reçut honorablement et en informa Hamouda Bacha, Bey de Tunis, le jeudi 7 Rabii Al Awal 1209 de l’Hégire.
Quant à Gârâ Mohammed Turkî, il s’installa avec ses proches dans la résidence du Caïd à Cédriane et épargna tous les habitants. Hamouda Bacha équipa une grande armée commandée par Mustapha Khouja, l’expédia à Tripoli pour destituer Ali Borghol et rendre le pouvoir aux fils de Karamelli. Il s’empara alors de Tripoli, chassa Borghol et ses amis reprirent le pouvoir. Pendant ce temps-là, Hamouda Bacha désigna Haj Ali Al-Jazîrî pour commander une deuxième flotte qui dut quitter la Goulette le samedi 14 Rabii Ath-Thânî 1209 de l’Hégire en direction de Djerba qu’il atteignit le 03 Joumâdâ Al Ûlâ 1209 de l’Hégire. Il accosta à Jilij situé à l’ouest de l’aéroport dans le village de Mellita. S’est alors déroulée une bataille entre son armée et celle de Gârâ Mohammed Turkî. Ce dernier a été vaincu et a quitté Djerba. Son séjour dans cette île n’a duré que 58 jours.
Il est déplorable de noter que, dès qu’il se fut installé à Djerba, Ali Al-Jazîrî toléra que ses soldats pillent, violent les lieux saints et s’emparent des provisions stockées à la mosquée de Tajdît et de Mahboubîn. Ces derniers sont devenus les maîtres de tous les esclaves de l’île. Ali Al-Jazîrî n’a gouverné Djerba que pendant deux mois au cours desquels il a commis toutes sortes de crimes et de vols. Hamouda Bacha l’a, par conséquent, vivement réprimandé. Ali Al-Jazîrî s’enfuit vers l’orient jusqu’à atteindre Al-Hîjâz. C’était là qu’il souffrit d’une maladie mentale. Enchaîné, il finit par périr misérablement.
La Mosquée de Tajdît
Le professeur Youssef Ben Mhammed Barouni dit dans son manuscrit intitulé : « Ibhar Al- Bahithîne fi tarikhi eljerbiine » (Voyage des chercheurs dans l’histoire des Djerbiens), à la page 44 :
« Pendant la période qui s’étendait de 1209 à 1298 de l’Hégire, Djerba a vécu sous la tutelle du gouvernement tunisien. Cette période était la plus stable, la plus paisible. En effet, l’état Houssaynite jugeait ses gouverneurs, ayant été attentif aux plaintes des habitants de l’île ; ce qui fit régner la sécurité et la stabilité à Djerba, favorisant ainsi le retour de ses habitants émigrés et le développement du commerce et de l’agriculture. L’économie est devenue nettement plus prospère après s’être détériorée suite aux guerres et aux taxes dont avaient souffert les Djerbiens.»
Durant cette période caractérisée par la domination de l’île par Darghouth Ben Ali Turkî en 960 et par la colonisation française de tout le territoire tunisien, y compris Djerba, en 1298 de l’Hégire, il apparait clairement que l’histoire de Djerba s’étalait sur deux périodes :
- La première période : s’étendait sur deux siècles environ, de 960 à 1209 de l’Hégire, pendant lesquels Djerba a vécu des troubles et souffert d’injustices et de crimes, tant internes qu’externes, à cause de sa situation géographique stratégique et de ses richesses. Les gouverneurs turcs, tels que Darghouth Bacha et Ali Borghol, ont attaqué Djerba, pillé les richesses, tué les habitants, massacré les militants, démoli les bâtiments et terrorisé la population. Les Djerbiens ont également subi le gouvernement des membres de la famille Ibn Jlûd, qui ont accédé au pouvoir grâce à Darghouth Bacha. Leur règne constitua une vraie malédiction pour l’île. Cette période amère a duré jusqu’en 1209 de l’Hégire.
2) La seconde période : de 1209 à 1298 de l’Hégire. L’île a connu une stabilité politique et vécu en paix, sous la tutelle du royaume Tunisien. Les Djerbiens émigrés, après s’être débarrassés des invasions étrangères : celles des normands et des gouverneurs de Tripoli, sont retournés pour ressusciter l’industrie locale et l’agriculture. Djerba a ainsi retrouvé son activité et sa prospérité.
Ces quelques pages nous ont permis de participer à faire connaître quelques épisodes de l’histoire de Djerba. Nous soumettons, en toute modestie, aux générations actuelles, quelques scènes de la vie d’une communauté musulmane digne sur un territoire musulman. Néanmoins, nous ne pourrions prétendre avoir fait le tour des principaux évènements de cette histoire.
PS : Pages glorieuses de l’histoire de l’île de Djerba après l’ère islamique.
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De l’an 47 jusqu’à l’an 1298 de l’Hégire
" Pages Glorieuses "dans le journal Aljazira :
N°264-Janvier 2011.
N°266-Avril 2011.
N°267-Mai 2011.
N°268-Juin 2011.
N°269-Juillet 2011.
- Ali Yahia Mouammar, 1966, L’ibâdisme au fil de l’histoire, chapitre 3 : L’ibâdisme en Tunisie. Maison de la Culture, Imprimerie Smaya. Place du nouveau palais de justice, Beyrouth, Liban.
- Bourâs Mohamed, Mounis Al Â’hibba Fi Akhbâr Jirba (Compagnon des intimes), revu par Mohammed Marzoukî, Imprimerie Officielle, Tunis1960.
- Barouni Youssef Ben Mhamed, « Ibhar Elbahithine Fi Tarikhi Eljerbyine », (Voyage des Chercheurs dans l’Histoire des Djerbiens), manuscrit en langue arabe, 1988.
- Ibrâhîm Bahâz, Abd Ar-Rahmâne Ibn Rostom, Société Nationale du Livre, Algérie, 1990.
- Barouni Omar Mohamed, Les Espagnols et Les Cavaliers de Saint-Jean à Tripoli. Imprimerie Mâjî, Tripoli, 1952.
- Barouni Souleymân Bacha, El-Azhar Erriadhia Fi Ayemeti wa Moulouki el Ibadhia (Les Imames et les Rois Ibâdites), Sultanat d’Oman. Maisons d’édition internationales, 1987.
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